Comment dire adieu à un rêve?

Article   /  17 août 2019

Comment dire adieu à un rêve?

« Tout commencement a une fin et toute fin est un commencement… »

Jean Baptiste Monge

Tout passe. La vie est changement. Je crois qu’au fond de nous, nous le savons tous. Cependant, lorsque la fin de quelque chose approche, le déni s’empare de nous. Cet aveuglement volontaire est une cause de souffrance.

En ce mois d’août 2019, à la deuxième journée de nos vacances, mon mari me fait part de ses craintes, notre moto défaille. Nous sommes dans la magnifique région de Charlevoix, paysage de vallées et de montagnes, ses routes opposant aux véhicules des conditions pénibles pour la mécanique. De là, on imagine un retour laborieux au mieux, impossible au pire, en chevauchant notre motocyclette.

Mon partenaire de vie est passionné de moto depuis son adolescence. Pendant celle-ci, il en a possédé trois. Ces randonnées inoubliables, il les a emmagasinées dans sa mémoire au moment où il a décidé que, pour sa propre sécurité, il devait mettre son désir de motard en veilleuse. Il aura attendu près de trente années avant de pouvoir réaliser son rêve de s’acheter une moto. Les enfants ont grandi, les moyens financiers sont présents, reste à trouver la perle rare. Enfouie tout au fond de son cœur, il y a son envie de posséder une BMW.  Fantasme qui semble peu possible à réaliser puisque la plupart des montures sont trop hautes pour ses 5 pieds 6 pouces.

Animé par son attirance considérable pour la moto de ses rêves, il épluche les publicités et visite les concessionnaires de la prestigieuse marque. Tout porte à croire qu’il a déniché un modèle qui lui conviendrait. Une fois sur place, il repère la moto, celle qui rencontre ses rêves les plus fous. Malheureusement, elle est prêtée au concessionnaire, le vendeur est le propriétaire et ce dernier enjoint l’acheteur potentiel  à se conformer à  ses critères personnels. Contacts téléphoniques, rencontres, questions et vérifications pour s’assurer que le prochain propriétaire saura la bichonner et la chérir autant que le premier détenteur de ce petit bijou. Finalement, mon mari peut acquérir son précieux engin au coût qu’il lui est possible d’y consacrer. C’est un rêve devenu réalité grâce à la gentillesse d’un motard dans l’âme qui en a reconnu un autre.

La première saison de voyage en deux roues fut fabuleuse. J’aime ce type de balades presque autant que mon amoureux. Les huit saisons suivantes se sont révélées également magiques. Chaque automne, mon amateur de bicycle  voyait venir le moment de la remiser avec abattement. Dès le mois de février, il espérait un printemps hâtif pour pouvoir la chevaucher le plus longtemps possible. C’est dire que mon motard n’a pas vraiment d’autres passions, ce qui rend la situation actuelle plus cruelle pour lui. Avec le temps, notre bécane prend de l’âge et des réparations sont effectuées régulièrement. Il faut souligner qu’en moyenne mon motard roule plus ou moins 20 000 km chaque saison. Cette année s’amorçait la dixième. La météo en a retardé le début, mais les vacances promettaient de rattraper le temps perdu. Ce qui nous ramène au début de ce récit. De retour au gîte, un appel téléphonique à notre mécanicien nous laisse savoir qu’il est inutile de penser à pouvoir réparer, les coûts seraient astronomiques pour une vieille bécane aussi magnifique et spéciale soit-elle.

Au souper, nous discutons de la situation. Il me raconte qu’il a vu des signes que quelque chose clochait. Il m’a fait remarquer à quel point il avait peu utilisé son moyen d’évasion favori cet été. Il refusait de voir  et de reconnaître l’évidence. À son habitude, il retenait ses larmes, jugulait sa tristesse. Nous avons donc évoqué les bons moments et j’ai insisté sur l’immense chance que nous avons eue que cela dure 10 ans. Oui, nous devons faire notre deuil, accepter ce qui est, mais aussi remercier pour cette chance unique dont nous avons apprécié l’usage. Il est trop tôt pour parler de la prochaine motocyclette, j’en ai conscience. Cependant, la situation n’est pas non plus alarmante. Nous sommes  heureux et en  santé, nous avons de merveilleux enfants, aucune ombre sérieuse ne se profile dans notre vie en ce moment et nous sommes au début de nos vacances après tout!

Suite à une nuit sans trop de sommeil pour mon motocycliste au cœur lourd, nous quittons la région puisqu’il est inutile de croire que nous pouvons encore visiter. Il ne reste qu’à espérer que nous puissions réussir à sortir de la région sans encombre. Grâce à la dextérité, l’expérience et l’extrême concentration de Luc, à la contribution de la motocyclette et sûrement beaucoup d’aide de l’univers, nous sommes parvenus lentement à destination. Le remorquage évité a permis à l’homme et à sa monture un dernier voyage ensemble.

Le temps nous permettra de tourner la page et comme le dit si bien Loick Peyron, « Le plus beau voyage est celui qu’on n’a pas encore fait. » Souvent, nous refusons d’envisager la fin de quelque chose, surtout si nous lui accordons une importance particulière. Souvent même, nous l’appréhendons bien avant que cela se produise. Notre capacité à accepter que toute chose a une fin et de profiter du moment présent au maximum me semble une belle façon de nous y préparer. Il faut vivre notre souffrance, sans toutefois s’y enliser. Bien sûr, il y a des épreuves beaucoup plus douloureuses qu’une perte matérielle, mais le principe reste le même. Les étapes du deuil demeurent et l’on doit se donner le temps de passer chacune d’elles. Néanmoins, ressasser notre malheur, souligner à grand trait la perte et se dire que rien ne pourra guérir la blessure ne peut qu’aggraver la peine. Rien ne sera jamais plus pareil, mais quelque chose de différent prendra place et la douleur s’estompera doucement. Maintenir son cœur ouvert à la suite ne peut être que salutaire.

Nous avons chacun notre manière d’évacuer notre tristesse, j’ai pris la plume car c’est ainsi que j’exprime le mieux mon ressenti. Sur ces mots, je dis adieu à cet engin, complice de tant de moments merveilleux et magiques, et je lui dis un gigantesque merci d’être passé dans la vie de mon amoureux et, par conséquent, dans la mienne.

Quels sont vos moyens pour accueillir les moments plus difficiles de votre vie?

Publié le 17 août 2019

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